Thème de décembre: Experts du vécu

people on crosswalk

    Dans le quatrième plan fédéral de lutte contre la pauvreté et les inégalités, les experts du vécu jouent un rôle important. Ils/elles, se servent de leurs expertises tirées d’expériences personnelles afin de développer une compréhension de la réalité de terrain et des goulots d'étranglement administratifs. Les expert(e)s du vécu sont des véritables professionnels de l’inclusion sociale. Ils/elles contribuent notamment à un meilleur accueil dans les services publics, à une meilleure identification des besoins et des sources d’incompréhension entre les administrations et les personnes en situation de pauvreté tout en proposant des mesures d’amélioration ou de remédiation  Une politique participative implique que nous parlions avec eux et pas seulement d'eux. Les expert(e)s du vécu démontrent que chacun est en droit de contribuer à une politique inclusive et à participer à son succès. 

    Le service Experts du vécu en matière de pauvreté et d'exclusion sociale contribue à améliorer l'accessibilité aux droits sociaux fondamentaux des services partenaires, tant les services publics que les établissements du secteur de la santé. Forts d'une expérience de pauvreté et d’exclusion sociale, les Experts du vécu se servent de leurs connaissances pour améliorer l'accès des services. Depuis 2019, Fanny travaille dans le service Experts du vécu au sein du SPP Intégration Sociale. La jeune femme recherchait un travail où elle pourrait faire une différence dans la vie des gens, un travail en adéquation avec sa personnalité. Aujourd'hui, elle nous en dit plus sur son travail d'experte du vécu.

    « Ma motivation à changer le système de manière durable était (et est toujours) inébranlable. Travailler dans une administration publique m'a permis de comprendre comment ce changement pouvait se produire. Le fait de pouvoir travailler au sein d'une équipe de personnes partageant les mêmes idées me motive à me développer et à progresser. »

     

    À quoi sert exactement le service des experts du vécu en matière de pauvreté et d'exclusion sociale ?

    « Le service des experts du vécu existe depuis 2003. Il y a 20 ans, tout a commencé avec deux experts du vécu qui se penchaient surtout sur la communication des administrations ; par exemple, la formulation d'un contenu sur un site web ou d’une lettre, pour rendre le contenu compréhensible et lisible. Désormais, notre équipe compte une quarantaine d'experts du vécu et nous avons aussi notre équipe de coordination. Aujourd'hui, nous pouvons aborder plus globalement la question suivante : comment rendre les services publics plus accessibles aux personnes qui vivent dans la précarité ? Nombreuses sont les administrations publiques et institutions des soins de santé où les experts du vécu sont employés par le SPP (qui reste l'employeur). Notre travail consiste à identifier les obstacles que les personnes précarisées rencontrent pour accéder à un service particulier ou pour faire valoir leurs droits. Par ailleurs, nous étoffons nos connaissances à partir de notre expérience personnelle de la précarité. Nous examinons ces signaux en interne avec notre équipe de coordination. Cela nous permet de définir et de signaler les constats aux administrations concernées.

    Afin de découvrir des exemples concrets d'obstacles et de signaux identifiés, nous vous invitons à consulter nos rapports annuels. A titre d’exemple, voici un signal auquel j’ai collaboré : le système de retour au travail progressif après une période d'absence pour cause de maladie. Nous nous sommes aperçus que la communication entre les administrations concernées n'était pas toujours aisée dans ce cas. En outre, les citoyens ne reçoivent que peu ou pas d'informations sur les conséquences fiscales pour l'année qui suit leur retour progressif au travail. Cela risque donc de créer de mauvaises surprises financières. L'INAMI a commencé à se pencher sur ce signal. Ce signal concerne notamment la communication des mutuelles et autres organismes qui paient les citoyens lorsqu'ils bénéficient d'une allocation. Nous déplorons le fait que de nombreuses personnes ne comprennent pas le contenu des lettres qu'elles reçoivent et que les démarches administratives soient parfois difficiles. Notamment parce que les documents nécessaires n'arrivent pas à bon port dans les délais impartis ou parce que l'organisme payeur est difficile à contacter lorsque l'on ne s'y retrouve pas dans le dédale numérique. Nous avons pu attirer l'attention des mutuelles sur ces signaux. Dans ce cas, il est important d'utiliser un langage clair, de simplifier et de clarifier les procédures afin de les rendre compréhensibles pour tout le monde. Ainsi, nous avons déjà relevé de nombreux signaux concrets et avons commencé à les traiter, ce qui nous a permis de rendre nos services plus accessibles.

    Ces signaux nous parviennent de bien des manières différentes. Parfois, les administrations prennent l'initiative de nous contacter pour nous demander un retour d'information ou pour nous impliquer dans l'élaboration d'une procédure ou d'une communication. Cela arrive de plus en plus et je trouve cela très positif. En d'autres termes, l'utilité de notre service et de notre travail d'experts du vécu est reconnue. De même, la connaissance du service ne cesse d'augmenter. »

     

    À quoi ressemble une journée de la vie d'un expert du vécu ?

    Chaque journée est différente. Je travaille aujourd'hui pour le Médiateur fédéral. Actuellement, je suis régulièrement chargée de l'accueil. Cette partie de mon travail m'intéresse beaucoup car cela me permet de savoir qui appelle le Médiateur fédéral et le type de plaintes déposées. Je peux ainsi vérifier si les personnes en situation de précarité peuvent facilement se rendre sur place. Quand je constate que les plaintes sur un certain sujet ne font pas entendre la voix des personnes en situation de précarité, cela m'incite à réfléchir à la manière dont nous pourrions réagir à l'avenir, par exemple en prenant davantage d'initiatives et en partant explorer la situation sur le terrain ou en adaptant l'image du médiateur... Mais il va sans dire que ce n'est pas évident. Je collabore aussi beaucoup à des projets sur mesure (POM) dans des groupes de travail au sein même du SPP IS. À titre d'exemple, je vais bientôt participer au comité d'accompagnement sur l'étude « évaluation de l'outil REDI ». De même, je m'intéresse de plus en plus au réseautage. Lors d'événements, on rencontre des personnes partageant les mêmes idées, souvent issues de la société civile, et on peut dialoguer avec elles. Vous l'aurez remarqué, mon travail est très varié. Je ne ménage pas mes efforts car j'ai l'occasion d'approfondir mes connaissances dans différents domaines.

     

    Pourquoi le poste de l'expert du vécu est-il important ?

    La grande particularité des experts du vécu tient du fait qu'ils ne puisent pas leurs connaissances dans les livres ou la théorie. Devoir batailler ferme pour accéder aux services, pour défendre ses droits, en un mot pour survivre : voilà autant de situations qui sont du vécu pour nos experts. Cela vous donne une plus grande sensibilité et vous permet de mieux vous mettre à la place d'une personne qui se retrouve dans cette situation. Malheureusement, on pense souvent que l'on peut remédier à la pauvreté par une simple aide financière ou en trouvant du travail. Il s'agit certes de mesures importantes, mais la pauvreté ne se cantonne pas à l'aspect financier. La pauvreté est un enchevêtrement de problèmes qui interagissent et se renforcent mutuellement. Une personne qui a vécu cette situation peut aider à mieux comprendre cet enchevêtrement complexe et donc à mieux cerner les besoins des personnes précarisées. Les experts du vécu sont également aptes à balayer les stéréotypes sur les personnes précarisées. Nous tentons souvent d'expliquer la signification que renferme la notion de pauvreté. Pour ma part, lorsque je me livre à de la sensibilisation, je me concentre plutôt sur les aspects que cette notion ne renferme pas. Il est un nombre infini d'expériences différentes de la pauvreté, mais elles présentent toutes des caractéristiques communes.

     

    Quelles évolutions avez-vous observées dans votre travail d'expert du vécu au cours des quatre dernières années ?

     

    Comme je l'ai précisé, nous constatons maintenant que les administrations font davantage le premier pas en prenant l'initiative de nous contacter. Les experts du vécu s'impliquent aussi davantage dans le traitement des signaux. Il y a plus de transparence, ce qui nous rend plus motivés.

    Selon moi, il est toujours enrichissant de connaître le point de vue et la méthode de travail des nouveaux experts du vécu venus renforcer notre équipe. Par exemple, après avoir passé quatre ans chez le Médiateur fédéral, je me surprends parfois à adopter inconsciemment le jargon. Heureusement, je peux aussi consulter mes réseaux personnels pour savoir si certains termes sont compréhensibles pour tout un chacun. Voilà un autre point fort des experts du vécu : ce réseau qui nous permet d’aborder des choses dont nous n'avons pas la moindre expérience. Car l'ensemble des personnes qui vivent dans la précarité n'ont pas les mêmes besoins.

     

    Quels sont vos souhaits pour 2024 en ce qui concerne le service des experts du vécu ?

     

    À mon sens, il serait indispensable de prévoir une bonne collaboration entre l'ensemble de la société civile et les organisations qui luttent contre la pauvreté. J'aimerais voir une meilleure communication entre la société civile et les services publics. Cela favoriserait le respect mutuel et la confiance dans le travail effectué par les deux parties. Voici un autre de mes souhaits : que le « test d'impact pauvreté » soit davantage utilisé dans la prise de décision politique, que l’on soit l’intermédiaire ou non, comme cela a été convenu en 2014.

    D'autre part, j'espère que nous allons abandonner la locution « lutte contre la pauvreté ». Je veux lutter en faveur de quelque chose, pas contre. Et, bien sûr, j'espère que de nombreux autres experts du vécu vont se joindre à nous.